Les virus occupent une position exceptionnelle entre organismes vivants et non vivants. Ne disposant pas de l’ensemble de la machinerie moléculaire nécessaire à leur propre reproduction, ils doivent détourner le fonctionnement des cellules de leur hôte (plantes, champignons, bactéries, animal) de façon à leur faire fabriquer des copies virales. Dans certains cas, ce processus peut entraîner les cellules hôtes dans un porcessus de multiplication incontrôlée, c’est-à-dire une tumeur.

Du fait de leur très petite taille, la découverte des virus est extrêmement récente dans l’histoire de l’humanité. À la fin du XIXe siècle, Ivanovski, un biologiste russe travaillant sur la maladie de la mosaïque du tabac soupçonne l’existence d’un élément infectant dont la taille est inférieure à celle des bactéries (qu’il filtre). Cependant ce ne sera qu’en 1930 que des virus pourront enfin être vus en microscopie électronique.

Le virus de la grippe compte justement parmi les tous premiers virus découverts puis observés à partir de 1930. C’est d’abord dès l’année 1930 un virus de la grippe du porc qui sera découvert dans l’Iowa, puis en 1933 sera isolé le tout premier virus humain de la grippe par une équipe de 3 chercheurs: Wilson Smith, Sir Christopher Andrewes et Sir Patrick Laidlaw du National Institute for Medical Research à Londres. Le microscope électronique est breveté par Siemens en 1931: avancée technologique idéale pour observer ces nouveaux pathogènes.

Le virus de la grippe est extrêmement singulier en ce sens qu’il est responsable de deux types d’atteinte des populations : des épidémies saisonnières (touchant chaque année des millions de personnes, avec cependant une mortalité relativement faible) et de grandes pandémies mondiales qui ont notamment marqué l’histoire du XXe siècle.

Caractéristiques du virus

Le virus de la grippe est un virus à ARN la famille des Orthomyxoviridae. Il est encore appelé Myxovirus influenzae. C’est un virus enveloppé comprenant une capsule protéique à l’intérieur de laquelle se trouve son ARN comprenant 8 segments. Sa transmission d’hôte à hôte se fait par voie aérienne par les gouttelettes de Pflügge.

 

 

Le virus de la grippe est codé par un génome de 13 500 bases portées par une molécule d’ARN simple brin de polarité négative (anti-sens). Ce génome comprend 8 segments d’ARN qui codent 11 protéines (PB1, PB2, PA, HA, NP, NA, M1, NS1, NEP et NS2). Il est lui-même encapsidé dans des protéines virales, et cette capside elle-même est enveloppée par une membrane de type cellulaire, formant une particule virale dont le diamètre total est compris entre 80 et 120 nanomètres.

ARN de la grippe

L’enveloppe virale, de type cellulaire, comporte notamment deux sortes de protéines d’intérêt produites par le virus : l’hémagglutinine (HA) qui permet l’attachement du virion à la cellule, et la neuraminidase (NA) servant au détachement des bourgeons lors de la formation des particules virales. La neuraminidase sert également à la lyse du mucus (qui détient des propriétés antivirales).

Classification

Le virus de la grippe appartient à la famille des Orthomyxoviridae qui compte 5 genres: Influenzavirus A, Influenzavirus B, Influenza virus C; Thogotovirus et Isavirus.

La classification des virus influenza est en fait une classification chronologique : parce que le virus découvert en 1933 était le premier virus humain de la grippe, il fut nommé par manque évident d’inspiration poétique influenzae A virus. Par la suite en 1940 un virus distinct fut isolé et nommé type B. Enfin le premier Influenzae virus de type C fut isolé en 1947. Les virus de type B et C semblent avoir atteint un équilibre évolutionnaire chez les humains : leur patrimoine génétique évolue peu. En revanche, les gènes de la grippe de type A furent initialement introduits via les oiseaux, et n’ont pas encore atteint d’équilibre évolutionnaire, ce qui explique les nombreux réarrangements notamment au niveau de l’hémagglutinine HA et de la neuraminidase NA.

Les virus de la grippe de type A sont classés en sous types basés sur l’antigénicité de leur hémagglutinine et de leurs neuraminidase. On compte 17 sous-types d’hémagglutinine et 9 sous-types de neuraminidase, soit 153 associations possibles.

Symptômes et descriptions cliniques

Les symptômes apparaissent de un à quatre jours après la contamination encore appelée contage. L’infection dure généralement une semaine et se caractérise par l’apparition brutale d’une forte fièvre, de myalgies (douleurs musculaires), de céphalées (maux de tête), d’asthénie (profonde fatigue), d’une toux sèche, d’une pharyngite et d’une catharre rhinopharyngée.

La majorité des sujets atteints guérit en une à deux semaines sans traitement médical. La grippe ne fait habituellement courir de risques sérieux qu’aux plus jeunes, aux personnes âgées et aux malades souffrant de certaines pathologies affaiblissant leur système immunitaire (pneumopathies, HIV, diabète, cancers, greffés, problèmes cardiaques ou rénaux), auxquels elle peut provoquer de graves complications et même la mort.

Épidémiologie de la grippe saisonnière

Responsables de trois à 5 millions de cas graves et 250 000 à 500 000 décès par an dans le monde, les épidémies de grippe saisonnière surviennent avec un pic d’incidence entre octobre et avril dans l’hémisphère nord, et entre avril et octobre dans l’hémisphère sud (la circulation virale est donc continue d’un hémisphère à l’autre).

En France, la grippe touche chaque année entre 2 et 8 millions de personnes et provoque entre 1500 et 2000 morts essentiellement chez les personnes âgées (de plus de 65 ans).

Sous les tropiques, il semble que les flambées épidémiques tendent à avoir des taux d’atteinte et de mortalité élevés.

Mutations et… Pandémies

Lors d’une évolution génomique majeure (par glissement antigénique ou par rupture antigénique) la virulence peut augmenter de façon importante. Ces deux processus sont complémentaires, et les Influenza virus évoluent via un processus complexe s’appuyant sur une accumulation de mutations au cours du temps, et des réarrangements de segments d’ARN viral dans des cellules co-infectées par plusieurs souches de virus de la grippe différents.

Évolution par glissement antigénique

Les virus de la grippe peuvent évoluer par un premier mécanisme appelé glissement antigénique : il s’agit de mutations de gènes codant pour des protéines de surface, qui provoquent des modifications mineures du virus. Dans ce cas, le nouveau variant reste très proche du précédent : si une personne a déjà attrapé une grippe précédemment, l’immunité qu’elle a acquise à cette occasion la protège contre lui.

Cependant, l’accumulation des modifications peut aboutir à une moindre reconnaissance du nouveau virus par les systèmes immunitaires ayant rencontré ces virus dans le passé. Ce phénomène impose le changement des souches vaccinales plus ou moins régulièrement (voir paragraphe « Vaccination », plus bas). L’aspect progressif de ces changements explique que la plupart des épidémies qui naissent de ce processus sont mineures ou de moyenne importance.

Évolution par cassure

Pour les virus de type A, il existe un deuxième phénomène de variation qui peut être à l’origine d’épidémies plus sévères et de pandémies : on parle de « cassures » dans le matériel génétique des virus. Celles-ci entrainent des changements radicaux des protéines antigéniques du virus, avec le remplacement d’une protéine par une autre (en particulier l’hémaglutinase), et donnent naissance à un nouveau virus, totalement différent de celui à partir duquel il est né. Le nouveau virus peut apparaître brutalement, et si son code génétique le rend plus virulent, plus transmissible, ou encore plus résistant, il peut gagner tous les continents. C’est la pandémie, qui va toucher en moyenne 1 humain sur 3 sur la planète. L’immunité préexistante acquise auparavant au cours d’épisodes grippaux ne protège pas, et un vaccin préparé avec les souches précédentes est inefficace. C’est ainsi que certains nouveaux virus sont apparus, causant des pandémies dramatiques : grippe espagnole en 1918 (50 à 100 millions de morts), grippe asiatique en 1957 (4 millions de morts) et grippe de Hong Kong en 1968 (2 millions de morts).

 

Retrouvez la suite de ce dossier ici: la pandémie de grippe espagnole de 1918

Retrouvez le troisième volet de cette série consacrée à la grippe ici: Grippe en France, techniques de laboratoire

 

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